Jour : 20 avril 2020

Genèse d’un itinéraire : la vie à la ferme

Extrait des « mémoires » de Georges CHEVET, écrites pour ses enfants, petits enfants et arrières-petits enfants.

A la ferme


Quand nous sommes arrivés à la ferme, nous avions reçu le renfort de notre grand-père Chevet, qui avait abandonné son emploi de domestique agricole pour venir aider mon père qui était seul en attendant que nous, les enfants, soyons en âge de travailler.
Dès l’âge de 11 à12 ans, nous devions aider nos parents, le matin avant l’école et le soir au retour quand nous avions terminé les devoirs. Le matin je devais nettoyer les étables des vaches et les écuries des porcs. Mon grand-père paternel, qui vivait avec nous à la ferme s’occupait d’alimenter les vaches ; ma mère s’occupait des porcs et mon père se réservait la charge des chevaux et du travail dans les champs. Donc j’allais devoir m’insérer dans ce groupe de travail et j’allais être attiré par les chevaux.

Cette organisation allait être interrompue par un événement politique d’importance : l’Allemagne d’Hitler envahissait l’Autriche et mon père fut mobilisé en préambule à la déclaration de guerre qui devait suivre.
En 1936 était né notre frère Raymond, et à ce moment-là, chaque enfant qui naissait dans une famille devait être déclaré à l’administration militaire, et cela lui reculait de deux années la classe de mobilisation. Ce qui fait que mon père avait été reporté à la classe 15, c’est à dire qu’il était mobilisable avec les gens de 43 ans alors qu’il en avait que 37. Son fascicule militaire lui faisait obligation de rejoindre un lieu précis, en l’occurrence le Château de la Fin situé sur la route de Chevagnes.
Il fut incorporé dans une section de surveillance aérienne avec une quinzaine d’autres personnes sensiblement du même âge. Cette section était basée au Château de la Fin à mi chemin entre Thiel et Chevagnes. Ils devaient surveiller, avec des jumelles, le ciel et communiquer l’immatriculation des avions de passage aux autorités supérieures. Cette
situation dura jusqu’à la réunion de Munich, entre Hitler, Chamberlain et Daladier qui mit fin à ce début d’hostilités.

Pendant cette absence je restais donc seul avec mon grand-père et ma mère pour faire fonctionner la ferme. Nos voisins, propriétaire au domaine de Belfin, étaient plus évolués et possédaient un poste de TSF. Je me rappelle que nous allions dans le champ à proximité de leur habitation pour entendre la musique. Peu de temps après mon père achetait aussi un poste de TSF. Ce qui nous permit d’entendre les nouvelles de la crise qui sévissait à cette époque.
Il fut démobilisé et la vie reprit ses droits jusqu’au 11 novembre, jour de la Saint-Martin, (c’est comme cela qu’on nommait le jour du déménagement), et nous allions partir, à la suite d’une mésentente avec le propriétaire concernant la valeur du cheptel.

Nous allions dans une autre ferme, plus importante, au lieu-dit les Neufonds sur la commune de Bessay sur Allier, toujours en métayage. La superficie était d’une quarantaine d’hectares, avec 38 bovins et 3 chevaux. Elle était gérée, ainsi que 5 autres fermes, deux locateries et deux châteaux, par un régisseur représentant le propriétaire, Mr Choisy, qui habitait au château de Montaigut le Blin.

 


Genèse d’un itinéraire: la guerre

Extrait des « mémoires » de Georges CHEVET, écrites pour ses enfants, petits enfants et arrières-petits enfants.

La Guerre


C’est à ce moment que je fis mes premières armes comme charretier c’est à dire responsable de nos chevaux .Trois beaux percherons gris biens dodus et très dociles : j’étais fier de montrer mon attelage qui comprenait 2 chevaux pour le labour, le troisième était réservé aux petits travaux, tombereau ou autre voiture.


Mais hélas en septembre 1939, Hitler prit la décision de rompre l’accord signé un an auparavant, l’armée allemande envahissait la Pologne, et conformément aux accords avec ce pays, la France et l’Angleterre, déclaraient la guerre à l’Allemagne.

L’ordre de mobilisation était affiché et mon père fut appelé et rejoignit le lieu de rassemblement de l’année précédente. Puis ce fut la réquisition de nos trois percherons que je dus conduire aux autorités militaires. Ils furent embarqués dans des camions, et je ne les ai jamais revus. Nous restions donc trois hommes, mon grand-père, mon frère et moi, Ma mère restait seule pour le ménage et l’élevage des porcs, et s’occuper de notre frère Raymond, qui n’avait que 3 ans. Plus de chevaux, c’était donc impossible de cultiver. Nous demandions donc à la mairie de nous attribuer des chevaux de réforme de l’armée ce qui fut fait quelques jours plus tard. Nous recevions un cheval castré et une jument. Nous avons gardé cet attelage jusqu’à mon départ de la ferme en 1947.


Au printemps, au moment de la déroute de l’armée Française, la ferme étant située à une centaine de mètre de la route nationale 7, nous avons vu arriver les réfugiés et chaque jour, certains nous demandaient pour coucher, c’est ainsi que le grenier était transformé en chambre à coucher.
L’arrivée des Allemands en 1940 et l’armistice signé par Pétain mis fin aux hostilités et mon père fut démobilisé.


Les mois s’écoulèrent jusqu’en 1942 qui fut une année noire. Mon grand-père décédait d’un cancer au duodénum dans des souffrances atroces. L’inhumation eut lieu au cimetière de Thiel-sur-Acolin dans la tombe où était enterrée son épouse. Ce ne fut pas une mince affaire car il fallait franchir la ligne de démarcation avec des laissez-passer qu’il fallait demander à la kommandantur de Moulins. Les papiers obtenus, il fallait trouver un transporteur qui accepterait cette charge. Il n’y avait pas de pompes funèbres. Ce fut Mr Fagnaux, le marchand de vin.

Le franchissement de la ligne de démarcation devait avoir lieu à Toulon et seul mon père et ma mère eurent le droit d’accompagner le corps.
L’année suivante, en 1943, ce fut une année de fort rendement, mon père était ravi de la récolte tout en regrettant qu’une grande partie de celle-ci serait réquisitionnée pour nourrir les allemands. L’été étant très sec, et pour empêcher les allemands de profiter d’une si belle récolte quelqu’un y mit le feu. La récolte de blé étant la principale source de revenu, nous étions ruinés. Bien sûr une enquête eut lieu, mais ne donna aucun résultat. Nous avions des doutes, mais il était hors de question d’accuser sans preuve. Depuis que les allemands avaient envahi la zone sud, la ferme étant à proximité de la RN7, ceux-ci nous demandaient souvent du ravitaillement et si nous refusions ils se servaient eux même dans le champ de pommes de terre.


C’était l’époque des restrictions et nous avions des cartes de ravitaillement. Le tabac était réglementé ; j’avais 19 ans, j’étais dans la catégorie J-3, j’avais le droit au tabac que je donnais à mon père, je disposais de 500gr de sucre, quant au reste, (viande, farine, légumes, matières grasses) nous n’avions aucun problème, tout était produit à la ferme. Pour aider ma mère dans ses tâches ménagères nous avions une fille handicapée mentale légère de l’assistance publique. Pour faire face à la pénurie de pain, nous avons remis en service le vieux four, et j’avais appris à fabriquer le pain. J’étais chargé de cette besogne à peu près tous les quinze jours. La farine nous était fournie par le meunier de la localité, plus ou moins en fraude car nous n’avions droit qu’à une certaine quantité. Quelque fois nous devions emprunter les chemins de terre pour s’approvisionner. Nous avions beaucoup de demandes de la part des gens du village qui avaient des difficultés pour trouver de la nourriture.

Si nous avions besoin d’un article en métal non ferreux il nous fallait fournir la contrepartie dans le même métal. Il était impossible de trouver des pneumatiques de vélo, alors on s’organisait avec des vieux pneus de récupération et on en mettait parfois deux l’un sur l’autre. Il était très difficile de rouler la nuit, la lumière était interdite sur les vélos.
Pendant cette période il était interdit d’organiser des fêtes publiques, et il était tout de même nécessaire de se distraire, et je décidais d’apprendre la musique.

J’allais voir Mr Jauffrais, organisateur de bals, reconverti en réparateur de vélos, à Neuilly le Real, pour prendre des leçons de solfège, et à la fin des hostilités je m’inscrivais à la société musicale de Bessay renaissante avec comme instrument un saxophone ténor qu’elle me prêtait.

ANECDOTE

Pour situer tout d’abord, la fratrie se compose de Georges né en 1924, Gilbert né en 1925 et Raymond, petit dernier, né en 1936. C’est donc Raymond qui raconte cette anecdote : attristé par le départ de son grand frère pour la guerre, il est allé chercher les partitions musicales de son frère et les a détruites pour se venger de le laisser seul


L’âge du STO est arrivé

Extrait des « mémoires » de Georges CHEVET, écrites pour ses enfants, petits enfants et arrières-petits enfants.

L’année 1944 étais l’année de mes vingt ans, et aussi de l’âge de départ pour le STO, imposé au gouvernement de Vichy par les Allemands, je fus convoqué à Vichy, au siège de la milice, avec tous mes camarades nés en 1924, à une visite médicale pour connaître nos aptitudes physiques afin de partir dans le cadre du service du travail obligatoire (STO) à effectuer en Allemagne. Bien entendu le résultat était positif.

Mais comme nous étions tous des gens de la campagne, nous obtenions tous un sursis de 3 mois, ce qui reportait à avril la date de notre départ. Ce sursis fut renouvelé pour trois mois, mais en juillet nous n’avons pas été appelés.
Cela ne nous empêcha pas de participer à toutes les réquisitions de la milice. Les hommes valides ont été commandés pour faire sur la nationale 7, tous les 2 km une tranchée abri de deux mètres de long avec un retour en équerre de un mètre. Plus tard nous avons été obligés de faire chaque nuit, des tournées sur les voies ferrées afin d’éviter les sabotages. Nous faisions ces tournées à quatre, mon père moi et deux autres personnes, accompagnés par une personne de la milice de Vichy Nous apportions à manger et à boire que nous partagions, y compris avec le milicien. Ceci nous permettait d’écourter un peu la tournée. Une fois, un sabotage eut lieu, mais en dehors de chez nous et en plein jour. Une boite d’essieux d’un wagon citerne chargé d’essence se mit à chauffer, rougit et mis le feu à toute la série.
Probablement c’est du sable qui avait été introduit dans la boite de roulement qui provoqua cet incendie.