Un charretier

Extrait des « mémoires » de Georges CHEVET, écrites pour ses enfants, petits enfants et arrières-petits enfants.

La Guerre


C’est à ce moment que je fis mes premières armes comme charretier c’est à dire responsable de nos chevaux .Trois beaux percherons gris biens dodus et très dociles : j’étais fier de montrer mon attelage qui comprenait 2 chevaux pour le labour, le troisième était réservé aux petits travaux, tombereau ou autre voiture.


Mais hélas en septembre 1939, Hitler prit la décision de rompre l’accord signé un an auparavant, l’armée allemande envahissait la Pologne, et conformément aux accords avec ce pays, la France et l’Angleterre, déclaraient la guerre à l’Allemagne.

L’ordre de mobilisation était affiché et mon père fut appelé et rejoignit le lieu de rassemblement de l’année précédente. Puis ce fut la réquisition de nos trois percherons que je dus conduire aux autorités militaires. Ils furent embarqués dans des camions, et je ne les ai jamais revus. Nous restions donc trois hommes, mon grand-père, mon frère et moi, Ma mère restait seule pour le ménage et l’élevage des porcs, et s’occuper de notre frère Raymond, qui n’avait que 3 ans. Plus de chevaux, c’était donc impossible de cultiver. Nous demandions donc à la mairie de nous attribuer des chevaux de réforme de l’armée ce qui fut fait quelques jours plus tard. Nous recevions un cheval castré et une jument. Nous avons gardé cet attelage jusqu’à mon départ de la ferme en 1947.


Au printemps, au moment de la déroute de l’armée Française, la ferme étant située à une centaine de mètre de la route nationale 7, nous avons vu arriver les réfugiés et chaque jour, certains nous demandaient pour coucher, c’est ainsi que le grenier était transformé en chambre à coucher.
L’arrivée des Allemands en 1940 et l’armistice signé par Pétain mis fin aux hostilités et mon père fut démobilisé.


Les mois s’écoulèrent jusqu’en 1942 qui fut une année noire. Mon grand-père décédait d’un cancer au duodénum dans des souffrances atroces. L’inhumation eut lieu au cimetière de Thiel-sur-Acolin dans la tombe où était enterrée son épouse. Ce ne fut pas une mince affaire car il fallait franchir la ligne de démarcation avec des laissez-passer qu’il fallait demander à la kommandantur de Moulins. Les papiers obtenus, il fallait trouver un transporteur qui accepterait cette charge. Il n’y avait pas de pompes funèbres. Ce fut Mr Fagnaux, le marchand de vin.

Le franchissement de la ligne de démarcation devait avoir lieu à Toulon et seul mon père et ma mère eurent le droit d’accompagner le corps.
L’année suivante, en 1943, ce fut une année de fort rendement, mon père était ravi de la récolte tout en regrettant qu’une grande partie de celle-ci serait réquisitionnée pour nourrir les allemands. L’été étant très sec, et pour empêcher les allemands de profiter d’une si belle récolte quelqu’un y mit le feu. La récolte de blé étant la principale source de revenu, nous étions ruinés. Bien sûr une enquête eut lieu, mais ne donna aucun résultat. Nous avions des doutes, mais il était hors de question d’accuser sans preuve. Depuis que les allemands avaient envahi la zone sud, la ferme étant à proximité de la RN7, ceux-ci nous demandaient souvent du ravitaillement et si nous refusions ils se servaient eux même dans le champ de pommes de terre.


C’était l’époque des restrictions et nous avions des cartes de ravitaillement. Le tabac était réglementé ; j’avais 19 ans, j’étais dans la catégorie J-3, j’avais le droit au tabac que je donnais à mon père, je disposais de 500gr de sucre, quant au reste, (viande, farine, légumes, matières grasses) nous n’avions aucun problème, tout était produit à la ferme. Pour aider ma mère dans ses tâches ménagères nous avions une fille handicapée mentale légère de l’assistance publique. Pour faire face à la pénurie de pain, nous avons remis en service le vieux four, et j’avais appris à fabriquer le pain. J’étais chargé de cette besogne à peu près tous les quinze jours. La farine nous était fournie par le meunier de la localité, plus ou moins en fraude car nous n’avions droit qu’à une certaine quantité. Quelque fois nous devions emprunter les chemins de terre pour s’approvisionner. Nous avions beaucoup de demandes de la part des gens du village qui avaient des difficultés pour trouver de la nourriture.

Si nous avions besoin d’un article en métal non ferreux il nous fallait fournir la contrepartie dans le même métal. Il était impossible de trouver des pneumatiques de vélo, alors on s’organisait avec des vieux pneus de récupération et on en mettait parfois deux l’un sur l’autre. Il était très difficile de rouler la nuit, la lumière était interdite sur les vélos.
Pendant cette période il était interdit d’organiser des fêtes publiques, et il était tout de même nécessaire de se distraire, et je décidais d’apprendre la musique.

J’allais voir Mr Jauffrais, organisateur de bals, reconverti en réparateur de vélos, à Neuilly le Real, pour prendre des leçons de solfège, et à la fin des hostilités je m’inscrivais à la société musicale de Bessay renaissante avec comme instrument un saxophone ténor qu’elle me prêtait.

ANECDOTE

Pour situer tout d’abord, la fratrie se compose de Georges né en 1924, Gilbert né en 1925 et Raymond, petit dernier, né en 1936. C’est donc Raymond qui raconte cette anecdote : attristé par le départ de son grand frère pour la guerre, il est allé chercher les partitions musicales de son frère et les a détruites pour se venger de le laisser seul